FAITS HUMAINS

CHAPITRE V


BAILIEVRE - LES FAITS HUMAINS

Occupation improductive du sol


Nous savons par l'histoire qu'aux premiers temps de l'occupation humaine, le sol de Bailièvre était beaucoup plus marécageux que maintenant. Il est donc normal que les hommes aient construit leurs habitations sur les élévations de terrain émergeant de ces marécages. Ces lieux avaient le double avantage de n'être pas humides et de présenter des assises plus résistantes pour la construction. L'essentiel du village est donc établi sur la ligne de hauteurs qui porte son nom : le centre avec l'église et la maison communale étant épaulé à l'est par le "Trieu Dessaire" et à l'ouest par "Bon Air".


Cette disposition correspond à l'alignement la long de l'axe routier allant de Robachies à Macon et contribue à donner à Bailièvre l'allure d'un village-rue. Ce n'est cependant pas tout-à-fait exact car le Trieu Dessaire n'aligne pas ses maisons le long de la route précitée mais le long d'une sorte de dérivation. D'autre part, Bailièvre possède d'autres quartiers excentriques : le Bas-Village, sur la deuxième ligne de crète, le "Terne" sur le versant sud et la "Houppe du bois", sur le versant nord de la vallée de la Heppe. Remarquons que ces quartiers, construits soit sur une éminence, soit sur les versants de la vallée, évitent les fonds marécageux.


Il y a bien la "Ferme de Bailièvre", sise au bord de la Heppe. Des circonstances historiques et économiques furent,ici, plus déterminantes que les contingences géographiques.


L'axe Robechies-Macon forme donc la dorsale. Le réseau routier, 20 km, se complète par la rue du Bas Village, boucle contournant le village par le nord, où s'amorcent les chemins conduisant aux prairies environnantes et au bois communal. Vers le sud, deux routes conduisent à Salles. L'une relie directement les deux places communales.


L'autre, issue de la route de Robechies dessert le lieu-dit "Marteaubois", les terres et les prairies de la plaine de 1'Arbrisseau.( photo ci-dessous )


Les relations routières, les seules vu l'absence de voie ferrée, se font avec le centre cantonal de Chimay, indifféremment par Robechies ou par Salles. Robechies est aussi la porte ferroviaire de Bailièvre, comme il est le village de transit lorsqu'on veut rejoindre la grand route conduisant vers le nord, vers l'intérieur de la Belgique. Macon, de son coté, ouvre la porte de la France. Autrofois, le chemin de Désiviers ouvrait une autre voie vers le nord, par Montbliart. Mais à l'heure actuelle, il ne conduit plus qu'au hameau et au bois communal.


Les positions respectives de ces routes et chemins méritent quelques remarques. L'axe routier est-ouest qui descend de la colline de Robechies contourne par une corniche, au nord, les Revers de Morgnies et le Trieu Dessaire. Ensuite, il suit la colline du Village sur la crête et passe au sud de la Paustière en une autre corniche : Bon Air. La rue du "Trieu Dessaire" suit la crête de sa colline tout comme le chemin des "Grands Prés" marque l'axe de la "ride" du Bas Village.


Les deux routes menant à Salles doivent enjamber la première ligne de dépressions : elles empruntent les deux seuils dont nous avons signalé l'existence au chapitre III. La chemin de "Mon Rêve" garde l'allure de sa dépression et débouche sur la grand route à la cluse des "Graillaux", où s'amorce aussi la chemin du Bois de Salles : noeud routier au point où le compartimentage naturel permet les liaisons. Pas plus que les habitations, les routes n'ont été construites dans les terrains fangeux. Ou alors, un remblai forme une fondation solide comme pour le chemin de "Mon Rêve".


Moyennant quelques réserves, on peut donc considérer Bailièvre comme un village-rue. Quelques mots maintenant sur l'habitat. La plupart des maisons sont des fermes; elles sont généralement alongées avec corps de logis, étables et granges côtes à côtes. Construites le plus souvent en pierres bleues : le calcaire du pays, elles sont couvertes d'un toit d'ardoises.


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2. Aspects sociologiques.


Structure économique, sociale et démographique


Au paragraphe ci-dessus, nous avons déjà dit que Bailièvre avait une physionomie agricole marquée. Parmi les 33 agriculteurs, 15, cependant, possèdent une autre source de revenus, c'est-à-dire qu'ils sont ouvriers, employés, artisans ou commerçants en même temps.


Quelle est la répartition de ces différentes corporations ? Les ouvriers d'usine sont 14, ceux des chemins de fer, 3, comme d'ailleurs les carriers et les bûcherons. En plus, grand est l'attrait de la motorisation car 6 Bailéporins sont transporteurs pour le compte d'un patron. Cette motorisation a fait aussi que le maréchal-ferrant a transformé son atelier en un garage d'où sont issus la plupart des matériels employés au village. Parmi les artisans, nous comptons aussi 2 menuisiers et 2 maçons. Les commerçants sont au nombre de 6 : boucher, épiciers, légumier et cafetiers. Parmi les employés, certains le sont au dehors comme les deux douaniers et les autres sont préposés au service public : instituteur, secrétaire communal, garde-forestier, gardechampêtre.


Si les agriculteurs quittent peu la village, les ouvriers doivent aller chercher du travail ailleurs. Le problème des communications est posé :un service d'autobus relie Bailièvre au centre cantonal de Chimay d'où rayonnent d'autres moyens de communications. Ils sont lents et peu fréquents mais existent quand même. Le transport des marchandises : importations de vivres ou de matériel agricole et exportation de produits agricoles fonctionne relativement bien. Très petit, le village ne peut que vivre dans la "mouvance" de Chimav pour ce qui est des services administratifs généraux, écoles post-primaires, PTT, pompiers, soins médicaux et pharmaceutiques.


Qu'en est-il des problèmes démographiques ? La population est en régression constante : 335 habitants en 1850, 264 en 1900, 261 en 1930 et 249 en 1946. Au 31 décembre 1959, on comptait 140 hommes et 116 femmes, soit 256 habitants et les moins de 18 ans étaient respectivement 62 et 40,soit environ 40 %. On voit donc que la natalité n'est pas en cause mais que l'émigration est la principale responsable de la diminution du nombre d'habitants. Le phénomène est général, semble-t-il, à l'Ardenne. On doit constater aussi l'anomalie résultant du fait que les femmes sont beaucoup moins nombreuses que les hommes en contradiction avec ce qui existe dans le reste du pays.


La commune.


Petitesse semble être la caractéristique de la commune de Bailièvre, aussi bien par l'étendue que par la population. Les exigences, donc les dépenses, sont modérées. La grande étendue de forêt procure de notables ressources.


Voyons quelques chiffres du budget de 1960. Les recettes atteignent 2.100.000 Fr d'où nous épinglons 300 000 Fr de bois, 150 000 Fr de participation de l'Etat, 8.000 Fr de permis de chasse, 10.000 Fr d'additionnels aux contributions foncières. Les dépenses ne vont pas au delà des 2.000.000 Fr ce qui laisse un boni de 100.000 Fr. Les routes exigeront 150 000 Fr, les bâtiments 90.000 Fr ,les traitements 100.000 Fr et la dette 75 000 Fr.


La commission d'assistance publique laisse un bilan encore plus réconfortant, 3 à 4.000 Fr de dépenses annuelles et un boni de 60.000 Fr. Les indigents sont presque inconnus à Bailièvre, personne n'est riche et personne n'est foncièrement pauvre.


Faut-il s'étonner alors que la vie politique soit calme. Depuis la dernière guerre, les journées d'élections communales n'ont donné lieu à aucune activité spéciale, une seule liste se présentant.


3. La vie civile, sociale et culturelle.


Quelles sont les institutions propres à Bailièvre ? A coté de la "Fabrique d'église", nous citerons la société des sapeurs-pompiers, la seule organisée et aussi la jeunesse.


Propriétaire de quelques terrains, bénéficiaire de subsides communaux, la fabrique d'église subvient aux nécessités du culte et à l'entretien des bâtiments, église, chapelles, cure.


Les sapeurs-pompiers, malgré un matériel un peu rénové, constituent surtout une société dont l'activité se limite aux défilés devant le monument aux morts, collaboration aux processions, tournée des cafés et participation aux tirs à la carabine, soit à Bailièvre (le tir communal est un haut lieu du village), soit dans les communes voisines.


Salut confraternel au site de la Jeunesse de Bailièvre, à qui nous

avons emprunté cette ancienne photo.


La jeunesse forme aussi une institution. On en fait partie dès la sortie de l'école. Aux quelques réunions annuelles sont désignés le porte-drapeau et ses deux gardes-du-corps, sont organisées les fêtes communales et est approuvé le budget. Celui-ci est alimenté par la location d'une terre et les subsides cormmunaux.

L'école est organisée de la façon suivante : deux classes communales mixtes que fréquentent tous les enfants en âge d'école primaire. Par après, les jeunes s'orientent plus vers les cours professionnels que vers les humanités. Une coopérative scolaire existe et est financée par la générosité des villageois à l'occasion de l'une ou de l'autre récréation organisée par les enfants. Une petite bibliothèque, surtout enfantine, est tenue par le Maître.


Les fètes communales dont nous venons de parler ont lieu le dernier dimanche de juillet; un raccroc est parfois organisé, un peu plus tard, pour vider la caisse. De 1951 à 1957, furent organisées de grandes festivités au profit de la Croix-Rouge et d'autres oeuvres nationales. Bailièvre jouissait et jouit encore dans ce domaine d'une certaine réputation.

Occupation productive du sol


Alors que les routes et les maisons n'empruntent au sol qu'une surface, l'agriculture et l'exploitation forestière le font produire. A Bailièvre, ces deux activités occupent 621 ha, soit 92 % de la superficie totale qu'elles se répartissent comme suit : 347 et 274 ha.


Si l'étendue boisée est loin d'être négligeable, la surface agraire est principale. D'ailleurs, le recensement des professions indique que sur 65 personnes exercant une activité, 33 sont des agriculteurs. Toutefois 15 parmi ceux-ci possèdent une autre source de revenus. De toute façon, Bailièvre est doté d'un caractère agricole bien marqué.


Il est difficile d'établir l'importance de chacune de ces fermes car une partie de l'exploitation est louée et nous ne possédons que la nomenclature des .propriétés. Mais avec une certaine approximation, nous pouvons considérer que l'importance de la propriété reflète celle de l'exploitation tout entière car les terrains loués ne sont souvent qu'un appoint.


Nous avons établi quatre catégories de propriétés : moins de 6 ha; de 8 à 15 ha; de 15 à 22 ha et plus de 40 ha. Leurs fréquences respectives sont 7, 4, 6 et 1. Les premières sont généralement un petit patrimoine familial que possède tel ouvrier où il entretient quelques bètes. Les deux catégories suivantes contiennent les propriétés où la ferme est la principale ou l'unique ressource. Les premières étant celles d'agriculteurs peu aisés qui ont accessoirement une autre activité, un commerce par exemple; les secondes étant les fermes du type courant. La dernière catégorie, une unité, est la grosse ferme dont on peut considérer les habitants comme de vie aisée.


La moyenne générale étant 20 ha, une conclusion s'impose : exploitation du type familial. Les ouvriers agricoles permanents sont pratiquement inconnus. La main d'oeuvre d'appoint nécessaire pendant les mois d'été est fournie le plus souvent par les enfants aux études, rentrant en vacances. Au moment des gros travaux, on voit également le propriétaire d'un matériel moderne effectuer le gros des travaux des voisins en échange de la main dtoeuvre que celui ou ceux-ci lui fournissent. Cette coopération souple, provisoire, qui ne demande aucune organisation du type "coopérative" sauvegarde l'esprit indépendant de chacun.


D'autres facteurs influencent la vie rurale.


Village aggloméré, Bailièvre ne peut fournir à chacune de ses fermes la proximité de toutes les prairies ou terres. Elles doivent se partager la campagne environnante. Les parcelles sont petites, d'où grand nombre de déplacements, perte de temps et d'argent. Le remembrement est à l'ordre du jour. Difficile dans la voie légale, coûteux dans le cas d'initiatives bilatérales ratifiées devant notaire, le remembrement s'effectue souvent sur parole. Ajoutez à ces difficultés les différences d'estimations et les incompatibilités d'humeur. L'influence des pouvoirs publics est faible. Sauf peut-être lorsqu'il s'agit d'essais subsidiés de nouveaux produits ou de nouvelles méthodes.


La modernisation, tant dans le matériel que dans les méthodes, progresse surtout sous l'impulsion des jeunes, mais elle se heurte à la petitesse des exploitations. Nous avons vu ci-dessus comment l'utilisation d'un matériel coûteux peut être envisagée malgré tout, par la coopération.


Les caractéristiques techniques sont dictées par la nature du sol : les prairies couvrent la presque totalité de la surface agraire. Quelques terres subsistent surtout au sud, parfois sur la territoire des communes voisines mais la dominante reste l'élevage.


Outre l'exploitation agricole existe à Bailièvre une exploitation forestière importante. Deux sortes de bois : particuliers et communaux. Les premiers donnent une valeur aux terrains peu rentables en agriculture. Le revenu de ce bois est différé : ce sont les descendents du planteur qui le recueillent.


Le bois communal forme la principale source de revenus de la commune : environ 400 000 Fr par an. La futaie est débitée par trentième chaque année et on repasse tous les 24 ans. Les portions supplémentaires sont allouées à la commune dans le cas de grande travaux ou de dépenses extraordinaires. Le taillis, sur pied, est remis gratuitement aux habitants, en portions d'affouage.


Nous pouvons caractériser Bailièvre de la fagon suivante : paysage ouvert autour du village : les vergers sont assez rares et les bois sont localisés. Au nord, la grande forêt de la Fagne barre l'horizon.



Les modifications apportées par l'homme au cadre naturel.


Ces modifications, ce sont bien sûr celles dont il est traité ci-dessus : maisons, routes, prairies, terres labourables et forêt. Mais ici, il s'agit plutot de travaux ayant plus particulièrement affecté le relief et le réseau hydrographique.


A propos du relief, il n'est pas question de modifications essentielles. Nous avons vu que les routes avaient été baties sur un sol résistant pour la plupart et que celles, rares, qui ne l'avaient pas été, ont bénéficié d'un remblai. C'est ainsi que la dépression de "Mon Rêve" est marquée d'un renflement supportant la route. D'autre part, l'axe routier venant de Robechies en contournant par le nord le Trieu Dessaire enjambe la Rieu du Moulin avant de marquer la crète du village. On n'y construisit pas de pont mais une digue percée d'un aqueduc. D'un coté cela permettait de créer une cascade destinée à actionner un moulin et de l'autre, s'établit un étang, asséché depuis.


NB : aujourd'hui, un étang a été réinstallé !


A coté des vestiges du deuxième moulin à eau au Bas Village, subsiste un crassier, dépôt de scories venant de l'ancien fourneau alimenté au bois. Il en résulte des différences de relief pouvant atteindre 8 à 10 m.


La vue stéréoscopique des photos aériennes donne une impression exagérée du relief. Les carrières y apparaissent comme de profondes excavations affectant la surface du sol. L'exagération mise à part, ces carrières n'en restent pas moins caractéristiques d'un terrain où s'est exercée l'activité humaine.


La forme du réseau hydrographique aussi a été altérée par l'homme. De vastes étendues marécageuses dans lesquelles divaguaient les cours d'eau, il a fait des prairies humides certes, mais utilisables. Il a ramené les eaux dans des étangs que, maintenant, on s'efforce d'assécher. La source principale a été captée pour fournir l'alimentation de la distribution d'eau. Les cours d'eau ont été disciplinés. L'un a été assujetti à la route de Désiviers qu'il suit comme un fossé, un autre, au lieu de séparer en deux la prairie située entre le Village et le Bas Village, a été obligé de la contourner.


Dans le même but que la construction de la digue où l'homme a permis de créer une cascade alimentant jadis un moulin à eau, il a obligé le même Rieu du Moulin à franchir la colline du Bas Village au lieu de la contourner.


Conclusion.


En somme, I'atmosphère de Bailièvre est bonne, bien qu'un peu "petit village" : on se connaît trop. Les gens semblent vivre heureux, ni trop riches, ni trop pauvres; ils ont leur lot de problèmes comme tout la monde. Leur vie s'écoule, paisible et calme, sans toutefois se laisser distancer par la marche du progrès.


Il y a cependant quelques lacunes que nous voulons relever, non dans un but de dénigrement, mais en vue d'attirer l'attention. Aucune association sportive ne propose d'activité aux jeunes. Pourtant, il existe un besoin : aux dernières fètes communales, les jeunes organisèrent une course cycliste avec eux-mêmes comme participants.


D'autre part, Bailièvre possède des ressources touristiques presque insoupçonnées. Sa vallée est l'une des plus belles du canton, son air pur et son calme devraient en faire une oasis pour les citadins en quète de beauté naturelle et de repos. Quelques initiatives ont eu lieu : achat de maisons de campagne, colonies de vacances. La route est ouverte, qu'on la suive!


 


Yvon Mahieu


Septembre 1960

Images d'aujourd'hui.

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1. Installation humaine